Anxieuse par Katherine Girard

Il y a un moment que je n’ai pas publié d’article de blogue, mais dernièrement, j’ai fait une lecture qui m’a marquée et de laquelle j’avais envie de parler alors me revoilà!

Cette lecture, c’est Anxieuse par Katherine Girard, publiée aux Éditions ADA (aussi ma maison d’édition).

Synopsis :

1996

Une jeune femme de dix-neuf ans, Audrey Brassard, quitte sa région natale pour entamer des études supérieures à Montréal. Ce déménagement est un choc pour cette enfant unique, qui se retrouve seule et libre dans un loft en plein centre-ville, après avoir vécu toute sa vie dans la campagne profonde, entre une mère étouffante et un père désinvesti.

Elle est bientôt la proie de crises étranges, qui la laisse épuisée et tourmentée, et qu’aucun intervenant ne semble pouvoir diagnostiquer avec justesse.

Parviendra-t-elle à surmonter les épreuves qu’elle traversera tout au long de sa première année d’université, malgré le peu d’appui qu’elle récoltera de ses amies et ses relations amoureuses compliquées?

Une lecture pas facile. Lourde souvent, mais si authentique, si transparente. Le désagréable n’est pas caché. Les maux d’Audrey, même les plus humainement physiques, nous sont partagés de long en large. L’auteure nous fait vraiment comprendre ce que c’est de vivre avec l’anxiété, avec un trouble mental en général. Quand ça prend le dessus sur tout. On se sent aspiré par le trou noir que devient Audrey et tout comme elle, on espère tant la voir sortir de cet étranglement et toucher la lumière au bout du tunnel. 

Malgré toute cette noirceur, l’auteure nous montre aussi qu’on peut s’en sortir avec l’aide appropriée. Mais chercher cette aide prend du courage et le rétablissement peut prendre du temps. 

L’entourage d’Audrey lui semble inutile quand il est question de mieux aller. De ses amies frivoles et inconscientes à son chum se voyant désemparé et écœuré par les changements négatifs qui s’opèrent en elle et à sa mère qui accentue les pensées de détresse qu’elle a déjà par rapport à son état, Audrey peine à reprendre le dessus. Puis il y a Julie, elle aussi souffrant d’un trouble mental (anorexie et boulimie – oui, il est possible de vivre les deux en même temps). Seule elle peut comprendre Audrey dans ses constantes pensées et craintes envahissantes, mais ensemble, elles se nuisent plutôt que de s’aider. Même si être ensemble peut leur faire du bien.

À traves le récit, on se rend compte des lacunes dans l’entourage d’Audrey. Les réactions de ses proches face à ce qu’elle vit démontrent à quel point les troubles mentaux étaient tabous et mécompris à l’époque (et ils le sont toujours, même si la société fait quelques progrès). Ses proches et leurs agissements nous permettent de voir et d’apprendre ce qui aide une personne dans une situation de maladie mentale, et ce qui n’aide pas ou nuit, même.

On s’attache à Audrey malgré ses défauts et ses difficultés. Justement parce qu’elle est réelle, humaine, imparfaite. En la suivant pas à pas dans sa dérive, on arrive à la comprendre là où ses proches en sont incapables. On est frustrés avec elle, découragés avec elle, apeurés avec elle, soulagés avec elle.

Ce récit se fait encore plus réel quand on sait que l’auteure y a mis de son vécu. En effet, comme pour plusieurs de ses récits, Katherine s’est inspirée de pans de sa vie à elle pour ensuite ficeler cette histoire. Comme elle le dit elle-même dans une note au lecteur au début du livre :

«Toute fiction comporte une part de réel. […] j’ai réellement vécu ma première année d’université à Montréal en 1996. Je vivais dans un loft sur le boulevard René-Lévesque. Je faisais des « crises » qui me causaient bien des soucis. Les médecins généralistes que je consultais n’arrivaient pas à me dire clairement ce que j’avais. […] À partir de ces quelques faits, j’ai ouvert un portail, j’ai créé un monde et des personnages imaginaires. […] En réalité, même ceux qui disent écrire la stricte vérité, dans une autobiographie par exemple, mettent pourtant en scène leurs souvenirs et les faits qu’ils veulent mettre de l’avant, composant ainsi un univers qui relève forcément de l’imaginaire, au moins en partie. La fiction est donc toujours vérité, mais ne reflète pas la réalité. C’est là la magie de l’écriture!»

Katherine, tout comme son héroïne, a aussi étudié en littérature. Maintenant, elle l’enseigne au cégep. Au courant du récit, on trouve de belles réflexions sur ce domaine et, ayant moi-même étudié en littérature, j’ai facilement pu m’attacher à ces mots que je vous partage juste ici :

«Dans la littérature, on trouvait la source la plus pure de l’histoire des mentalités et on avait une vue imprenable, car intime la plupart du temps, sur les grands événements de l’humanité. La littérature me permettait d’apprendre sur une foule de sujets (de la philosophie kantienne à la géographie orientale, de l’art du macramé à celui des arts martiaux, de la science culinaire à celle des plus grands parfumeurs) tout comme d’apprendre à mieux me connaître moi-même, à mieux me cerner au contact de tous ces êtres de papier parfois tellement plus vivants que ceux que je rencontrais au quotidien. Mais plus encore, la littérature me permettait d’oublier l’absurdité du monde et de l’existence tout en m’y confrontant sans cesse; elle me permettait de m’oublier tout en me ramenant à l’essentiel. La littérature était un phare dans la nuit et une boussole dans ma tempête intérieure, et l’étudier en compagnie des grands maîtres me semblait la meilleure manière de me l’approprier. Plus j’étudiais les œuvres magistrales, plus je me rendais compte que je ne savais rien, que je ne connaissais rien, ni sur l’homme, ni sur la science, ni sur l’histoire, plus je me sentais petite et plus je me sentais grandie en même temps. Je voulais lire pour évoluer, pour devenir une humaine dont je pourrais être fière, nourrie d’incertitudes et de réflexions, d’émotions et de connaissances, et pas un robot spécialisé dans un seul domaine pour le restant de mes jours.» p.164-165

«Si je lisais depuis ma tendre enfance tout ce qui me tombait sous la main, je réalisais que ce qui m’était tombé sous la main, justement, ne représentait qu’une infime proportion de ce qui avait été publié, et que ce que j’avais eu l’opportunité de lire dans mon existence était surtout de la paralittérature. J’avais appris récemment ce mot horrible qui semblait signifier « ce qui tourne autour de la vraie littérature » et qui désignait les genres littéraires, c’est-à-dire le fantastique, la science-fiction, le policier, le merveilleux. J’avais conclu avec un certain dégoût qu’on avait tendance à y inclure ce qu’on appelait « la littérature féminine », c’est-à-dire une littérature écrite par des femmes et qui s’articulait autour de sentiments et d’expériences qui seraient supposément plus propres au sexe féminin. J’avais toujours saisi confusément la différence entre une œuvre dite « sérieuse », qui aurait été écrite par un vieux monsieur faisant partie de l’Académie française, par exemple, et une œuvre écrite comme une recette de cupcake, de style Harlequin, disons. Mais il me semblait que plusieurs œuvres se situaient à cheval entre la littérature « blanche », donc pure, à la structure inusitée et au style remarquable, et la paralittérature, un regroupement d’œuvres qui misaient plus sur le contenu que sur la forme. Tant d’œuvres se classaient à cheval entre l’élévation de l’âme et le divertissement, en quelque sorte, entre la réflexion et l’évasion!» p.167-168

Par ailleurs, on peut le voir avec ces citations : ce roman est d’une écriture impeccable. Sans que ça nuise à la compréhension ou à la fluidité du récit, on sent le style et on déguste chaque page.

Bref, même si c’est une lecture avec laquelle j’ai pris mon temps pour ne pas trop m’engouffrer moi-même dans les tourbillons d’Audrey, j’en ai apprécié chaque moment. En refermant le livre une fois terminé, j’ai ressenti l’espoir d’Audrey pour la suite de son rétablissement, mais aussi le poids de l’importance d’un tel récit.

Il est important de dire les vraies choses, même si elles font parfois peur, même si elles nous dégoûtent parfois, nous gênent d’autres. Il est important de comprendre à quel point les maladies mentales doivent être prises au sérieux et de comprendre quelles sont les voies efficaces pour en guérir vs quelles sont les actions/paroles/situations qui empirent les cas.

Ce n’est pas un roman facile. Il y a bien des aspects romantiques et beaux, mais je conseille tout de même à ceux et celles qui s’y intéressent d’y aller lentement et en pleine connaissance de cause. Les sujets abordés peuvent être lourds, mais ce qu’on retire d’une telle lecture en vaut le coup. Je recommande fortement!

Sur ce, je vous dis à la prochaine!

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